synapsis
Exemples d'énergies citoyennes et rurales
Chateau-du-Loir
Fileuses: une histoireau coeur de l'économie du textile
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C'était une partie tellement énorme de l'industrie française que sans les fileuses il n'y avait pas de textile...
Invisibiliser l'importance et la place qu'avait cette industrie féminine c'est aussi encore une façon d'invisibiliser la part des femmes dans l'Histoire.
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Les ouvrages de Vert'Laine
En se questionnant sur l'impact écologique du textile, Juliette s'est tournée vers le travail de la laine et le surcyclage du textile synthétique.
Reprenant les techniques traditionnelles du filage au rouet et au fuseau, elle transmet aujourd'hui son savoir-faire.
Juliette récupère et transforme les toisons locales en pelotes douces et écologiques.
La création de Vert'Laine
Peux-tu nous présenter ton travail, ton installation à Saint-Paterne-Racan?
Je n'étais pas du tout partie pour faire de l'artisanat. J'ai fait des études de droit, ensuite des études de Droit environnement parce que je voulais trouver du sens à ce que je faisais. J’en n'ai toujours pas trouvé parce que, finir par travailler chez Total ne me plaisait pas non plus. Je suis partie dans une direction totalement opposée.
J'étais tombée amoureuse de la laine pendant mes études à titre de hobbies. En essayant de trouver de la laine qui avait des valeurs environnementales, je me suis un peu heurtée à un mur. Ça a été très compliqué de trouver de la laine française. De la laine française bio, alors là n'en parlons pas, c'est presque impossible. On la trouve le plus souvent avec des petits labels, des petites chartes, comme les laines de chez Ardelaine.
C'est face à ce constat que j'ai découvert qu'on pouvait la fabriquer soi-même tout simplement. Au début j'étais plus sur l'idée de fabriquer des accessoires avec de la laine que j'aurais acheté et à la fin je suis partie fileuse.
J'ai fait ma formation plutôt en autodidacte, en discutant avec d'autres fileuses, en les rencontrant, en expérimentant beaucoup.
Aujourd'hui, l'activité a beaucoup évolué puisque tout tourne autour du filage. Soit je donne des cours pour apprendre aux gens à faire eux-mêmes leurs propres fils au fuseau ou au rouet, soit je file du poil d'animaux de compagnie pour créer des souvenirs de nos petits poilus. Ce sont les seuls objets en filage que je fais.
J’ai essayé de faire d’autres objets en laine filés à la main mais le prix juste qui m'aurait permis de vivre ne correspondait tellement pas au prix du marché que les gens n'ont pas du tout accroché. Quand il s'agit de faire un souvenir de son animal, ils sont prêts à payer l'artisanat au prix juste. C'est beaucoup plus simple.
Pour le reste, les ouvrages de Vert'laine c'est des cours. Je fais quand même des nappes de laine pour les fileuses. C'est à dire que je prépare la laine et je la transforme. Elle est lavée, cardée et prête à être filée.
De la création artistique à la transmission de savoirs
Tu transmets autant que tu créés?
Oui, au début ce n'était pas quelque chose à laquelle j'avais réfléchi de donner des cours.
J’ai d'abord proposé des cours pour pouvoir permettre aux personnes qui n'ont pas forcément l'argent de s'acheter des choses très artisanales tout le temps, d'apprendre à faire eux-mêmes et d’avoir des choses qui seraient proches d'une qualité et d’un prix à plusieurs centaines d'euros dans le commerce. On ne se rend pas compte de l'or que l'on a dans les mains.
Ce qui m'a énormément gêné au début dans mes créations c'était le prix. Ça a été tout un cheminement personnel: accepter que mon travail avait une valeur et que cette valeur n'était pas celle qu'on avait mis dans la tête des femmes jusque là.
Par exemple, si on achète un vêtement chez Zadig et Voltaire, ça ne choque personne de l'acheter 150, 200, 300€. Si on va sur un marché et qu’une tricoteuse a fabriqué une écharpe, on entend : -"Quoi vous la vendez 50€ mais vous n'avez pas honte". Les gens se permettent de dire que c'est hyper cher quand il y a quinze voir vingt fois plus de travail sur ce marché que chez Zadig et Voltaire.
J'essaie aussi d'en parler beaucoup pendant mes cours, de valoriser le travail de mes élèves. De dire à quel point ce qu'il font de A à Z, de transformer une matière en vêtement c'est assez extraordinaire.
Il y a une énorme dévalorisation du travail artisanal des femmes qui a été fait pendant des années. On est martelé. Les travaux de fil « c'est des travaux de bonnes femmes", "les bonnes femmes ne sont pas payées pour le faire" etc... C'est très ancré encore quand on discute entre fileuses. C'est très intériorisé.
J’adore parler de la laine, il y a tellement d'infos sur ses propriétés, toutes ces connaissances qui sont perdues. J'en parle énormément pendant mes ateliers, de l'impact environnemental aussi.
J’évoque aussi à quel point c'est facile quand on prend le temps de trouver des matériaux et de le transformer. Aujourd'hui, il suffit d'aller voir un petit éleveur qui ne vend plus sa laine pour récupérer plusieurs toisons.
La dernière chose que je fais aussi en terme de cours est presque du coaching. Souvent je me retrouve face à des gens qui sont très perfectionnistes. Leur premier réflexe est de dire: -"Ah mais ça ne va pas, le fil n'est pas régulier. Il n'est pas comme je voudrais".
Il y a tout un travail de pédagogie de dire que le fil à la main n'est pas du fil industriel. C'est une matière qui fait ce que vous lui demandez mais qui fait aussi suivant comment elle est constituée.
Il y a cet apprentissage pendant mes ateliers qui est de comprendre que quand on file à la main, on vit l'instant présent. C'est le fil qui se forme. Parfois il ne se formera pas comme on le voudra et d’autres fois, il fera des choses plus belles que ce que l'on voulait.
Le rapport à la laine et aux autres textiles
Quelles sont les propriétés de la laine naturelle et pourquoi cherchais-tu de la laine française à l’origine ?
Les transformations de fils français sont déjà beaucoup moins chimiques que quand on achète de la laine chinoise. Par exemple les traitements super wash, sont des traitements chimiques qui n'entreront jamais dans mes valeurs. Ça détruit totalement les propriétés de la laine. Le seul intérêt de ce type de traitement c'est empêcher le feutrage pour passer en machine à laver et c'est dommage parce que la laine est autonettoyante. Si on ne détruit pas ses propriétés naturelles, on a besoin de la nettoyer deux fois par an. Donc, on fait un traitement hyper chimique pour pousser les gens à laver plus leur laine sans que ça l'abîme, ça n'a aucun sens...
... Et ça les incitent également à consommer de l'eau...
Oui, la laine a des petites écailles qui s'ouvrent et qui se referment. Elles débarrassent des poussière et des odeurs. Il suffit juste de la mettre à l'ombre à l'extérieur. En une heure, elle est débarrassée de tout, à part de tâches. On a perdu toutes les connaissances sur la laine, toutes ses propriétés. C'est une matière qui est durable, elle pousse tous les ans. On n'a pas le choix que de la couper pour la santé des moutons.
Quel est donc ton rapport au textile d’une manière générale?
Mon rapport au textile, s'est vraiment construit en découvrant la laine. Quand j'ai commencé le crochet, je crochetais du fil acrylique. Je suis partie de premières déceptions c'est à dire qu'une fois qu'on a fait un objet avec du fil acrylique, au bout d'une utilisation il est déformé. Au début je me suis dit "mais c'est horrible, je passe des heures à travailler pour ça" . Ça a été ma première expérience qui m'a poussé vers d'autres matériaux.
Ensuite, en me dirigeant vers la laine pour des raisons plutôt écologiques, j'ai découvert toutes ses propriétés et j'ai complètement abandonné l'acrylique.
Il ne me sert plus qu'à faire des fils plutôt artistiques. En fait, je fait de la réutilisation de fil pour des tissages muraux, des choses qui ne vont jamais être lavées donc ça m'évite de mettre des micro-particules de plastique dans l'eau à chaque lavage.
Pour le reste, j'essaie de transformer également ma garde-robe personnelle vers des vêtements plus écologiques et surtout plus durables.
Même en terme de confort, une fois qu'on commence à travailler la laine, on se rend compte de tous ses avantages: du confort au moment où on créé. il suffit de demander à n'importe quelle tricoteuse. Au niveau du toucher, tout change. Le confort pour porter le vêtement n'a rien a voir.
Je pourrais t'en parler pendant des heures. C'est tout, c'est les odeurs, c'est le toucher. C'est une énorme histoire d'amour.
Quand j'ai commencé le rouet, j'ai eu l'impression de faire quelque chose que j'avais toujours fait, les gestes sont venus très naturellement. J'ai tout de suite commencé a le faire pendant des heures et des heures alors que je suis une personne impatiente et qui a du mal à se concentrer.
On est dans l'instant présent, on fabrique le fil, on le regarde. On se concentre sur son corps, sur ses sensations, ce n'est pas de la fatigue mentale parce qu'on a réfléchi à mille trucs. C'est un tout autre rapport à la vie qu'on retrouve dans tout l'artisanat et qui m'a fait vraiment du bien de retrouver.
Quel type de toison tu choisis?
Globalement, il n'y a pas beaucoup de races de mouton par ici. Je prends en grande partie ma laine chez Bêle Pâture à Monthodon. C'est une société d'éco-paturage qui place des moutons dans les communes. En quelques années, ils ont triplé le nombre de moutons qu'ils ont parce qu'ils se sont installés en même temps que l'interdiction des phytosanitaires dans les communes.
Il me donne une partie de ses toisons et en échange, je lui file des coups de main sur les tontes. Je fais également des démonstrations gratuitement pour lui dans son village.
C'est presque entièrement du mouton solognote. C'est une brebis qui fait de la laine noire. Elle n'est pas très appréciée même par les chinois parce qu'elle n'est pas blanche.
Avec une belle toison, même si les fibres sont courtes ou pas très douces, je fais des tissages muraux, des décorations, des coussins. Je vais trouver une utilisation à chaque type de fibre ou dans le pire des cas, je vais pailler ou faire du rembourrage avec. Il y a tellement d'utilisation possibles que finalement on n'est pas obligé de discriminer les fibres par leur longueur, leur finesse etc...
Ce n'est pas difficile de trouver des toisons car la plupart des éleveurs ne vendent pas la laine. Ça doit valoir 10 centimes le kilo. Le prix de la toison est moins cher que le coût du tondeur.
Il n'y a plus que deux tondeurs en Touraine. Le tondeur de Bêle Pâture vendait 19 000 toisons et se récupérait l'équivalent de deux smics.
Chez les fileuses on fait pas mal d'échanges aussi. On est plusieurs à vouloir se lancer dans un projet de recherche où on file de la laine de plus de races possibles pour avoir un recueil avec plein d'échantillons.
Le filage, un métier au féminin?
C'est féminin comme métier? Tu féminises toujours ce travail.
Oui, historiquement c'est très féminin. C'est même supra-féminin et sexiste. A l'origine, les femmes filaient pour avoir un revenu économique. Elles pouvaient le faire pendant d'autres activités.
En fait ce sont les tisseurs (et là pour le coup c'est très masculin et uniquement masculin), qui donnaient la laine aux femmes. Elles la filaient et elles leur redonnaient. C'était très clairement hiérarchique avec les hommes au-dessus qui faisaient le tissage et qui contrôlaient à la fibre près (au poil de mouton près) ce que faisaient les femmes.
Ils ont inventé des outils, par exemple le mandrin. Il est très pratique mais il n'a pas une très belle histoire à la base. Il permet de fabriquer des écheveaux. Tu as la longueur de définie et ça te permet de compter ton nombre de tours. Tu connais le métrage exact de ton fil qui est ensuite pesé. Ça permettait aux tisseurs de vérifier que les femmes avaient bien fait leur travail, que le fil était à la bonne finesse et surtout qu'elles n'en avaient pas volé pour la famille.
Avant l'invention du rouet il fallait quand même trois cents fileuses pour alimenter un seul métier à tisser.
J'aime aussi parler de savoir matrimonial parce qu'il y a toute cette histoire de femmes qui participaient à la vie de la famille. Des chroniqueurs ont sorti des énormités du type: "les femmes faisaient ça à côté comme hobby. » Mais non ! En fait c'était une partie tellement énorme de l'industrie française que sans les fileuses il n'y avait pas de textile. Il y avait rien.
Donc je trouve ça aussi intéressant et important de dire que c'est un savoir de femmes parce que c'était très important dans la société. Invisibiliser l'importance et la place qu'avait cette industrie féminine c'est aussi encore une façon d'invisibiliser la part des femmes dans l'Histoire.
La vie de l'atelier
Qui est-ce qui vient à tes ateliers? Des particuliers, des écoles?
Au début j'essayais de faire ma communication localement. Ça ne marche pas trop, parce que mes ateliers ont un certain prix et en campagne on n'a pas l'habitude de s'offrir des cadeaux comme ça. Ce qui m'a aidé c'est une plateforme sur internet qui s'appelle Wecandoo.
Elle regroupe beaucoup d'artisans. Par contre, ils me ramènent très clairement des gens de la ville ou d'autres campagnes, vers Amboise ou des gens qui sont plus dans le Sud du Département. Ça me permet d'avoir une visibilité.
Je diffuse beaucoup sur Instagram et sur les réseaux sociaux pour me faire connaître. C'est très compliqué d'être sur tous les fronts quand on est en auto-entreprise.
Malheureusement, Instagram est ce qui me rapporte le plus de clients, surtout pour le filage des souvenirs en poils d'animaux. Je n'ai pas d’autres choix que de privilégier ça. Il y a ce que l'on voudrait faire en terme d'écologie et ce que l'on peut faire parce qu'il faut pouvoir vivre de ce qu'on fait.
Qu'est-ce que cela fait de travailler seule au quotidien? Est-ce que cela facilite ou au contraire limite le travail de création de l'artisan ?
Je ne peux pas du tout donner une réponse générale. Je fonctionne avec une petite jauge sociale qui descend vite. Le fait d'être seule et de choisir les moments où je fais mes ateliers et où je vais rencontrer des gens est très important pour moi.
Des fois j'ai quand même un manque. J'ai visité une coopérative de Vannerie et j'ai eu un petit pincement au cœur. La coopérative te protèges, elle protège ses artisans et elle se bat pour eux. Moi, je me bats toute seule. Parfois je me sens très seule, surtout qu'il y a une grosse concurrence déloyale dans le monde du fil.
Ça fait du bien de pouvoir gérer son travail en autonomie mais parfois le collectif permet aussi de faire une petite émulsion d'idées.
Pour le coup, les réseaux sociaux m'aident beaucoup parce que j'ai rencontré des fileuses de toutes la France. On peut discuter de notre rapport au fil, de notre rapport au travail, de comment on se bat pour être payé au prix juste. Si j'étais sans les réseaux et sans communication avec d'autres personnes qui font le même travail que moi ça serait un peu dur.
Maintenant il y a deux marchés, un hebdomadaire et un mensuel. J'ai découvert après que sur Marray, il y avait un bar associatif. L'Abbaye de la Clarté-Dieu a également ouvert une cave très sympa...
Quand j'avais 14 ans et que j'habitais ici, mise à part le festival des Kampagn’Art rien n'existait. C'était la mort.
Le maire actuel est très attaché à la vie culturelle, il donne beaucoup de moyens aux associations. Il se bat aussi pour sauvegarder les trains car, à l'inverse, il y en avait beaucoup plus quand j'étais jeune.
La campagne renaît mais par contre on enlève les transports en communs. C'est le point noir encore de nos zones rurales.
Mon grand rêve c'est d'avoir une ferme refuge et de faire de l'éco-tourisme sur-place, de sensibiliser au savoir-faire artisanaux mais aussi aux animaux, au végétarisme... Le lieu ne s'y prête pas encore mais c'est un rêve qui sera réalisé, il n'y a pas le choix. Celui-là sera réalisé.
Pourquoi es-tu venues t'installer à Saint-Paterne?
Je suis revenue m’installer ici (dans l'ancienne maison de famille) alors que j'y vivais quand j'étais petite.
Quand je suis arrivée enfant à Saint-Paterne, beaucoup de maisons étaient à vendre, il n'y avait presque plus de commerces. Il n'y avait plus d'Amap. il y a eu un gros passage à vide. il n'y avait plus autant de marchés.
Il était hors de question que je vive et que je travaille en ville pour des raisons très personnelles. Je ne supporte pas le monde, le bruit, les voitures... J'ai fait mes études en ville et au bout d'un moment j'ai été très malheureuse. L'évidence était que je revienne absolument en campagne pour ouvrir la porte, entendre les oiseaux, le chant des grenouilles.
C'est une fois installée que j'ai découvert que le village avait bien changé.
Les propriétés de la laine
Isolante
La plus connue et qui n'est pas encore assez valorisée c'est l'isolation. Quand je fais du fil, j'ai la possibilité de le rendre plus ou moins chaud. Soit, j'expulse l'air de mon fil en pinçant soit, je fais en sorte au contraire de lâcher pour que ça emprisonne d'un coup beaucoup d'air. Ce qui fait l'isolation c'est l'air emprisonné et qui forme une couche protectrice. Quand je fais du fil à destination de produits chauds, je le fais très gonflant.
Respirante
La laine est très respirante, on n'a pas de sensation de suer comme avec un pull acrylique et on peut aussi la porter en été.
Auto-nettoyante
Stable
Elle se détend très peu, à la différence de l'acrylique. Je procède à une étape qui est le "blocage".
Une fois que j'ai fait mon fil à l'écheveau, je le lave avec de l'eau tiède et du savon neutre. Je le mets à sécher et il va se détendre tout seul. Grâce à cette étape, mon fil ne se détend plus après, ce qui n'est pas forcément fait avec le filage industriel.
Absorbante
Elle emprisonne l'humidité à hauteur de 30% de son poids sans être mouillée. L'hiver, on n'a pas la sensation d'humidité.
Paillage
Je l'utilise aussi pour le paillage du jardin, sauf pour les semis. Elle est opaque et elle lutte contre les limaces. Elle protège le sol de la chaleur et à l'inverse quand il fait froid, elle l'isole.
J'ai un partenariat en cours avec l'entreprise Brosseur qui fait du recyclage de poil de chien.
Le but est de récupérer les poils chez les toiletteurs, qui sont aujourd'hui des déchets et de les transformer en matière première. On peut faire du feutre et du fil.
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